American Dream II

Ne reculant pas devant l’effort et ne redoutant pas l’adversité, Frédéric s’est résolu à passer 30 heures aux États-Unis. Par miracle, la police américaine stationnée à Roissy-Charles de Gaulle l’a laissé décoller. Mais Il n’a pas aussitôt mis un pied dans l’avion qu’il a l’impression de faire un grand bond en arrière dans l’espace et dans le temps. L’hôtesse, là ? C’est la grand-mère de Sue Ellen Ewing ?

Si vous avez raté le début, cliquez ici pour comprendre ce que je fais dans cet improbable avion américain. À peine embarqué, j’ai déjà l’impression d’être en terre inconnue et je commence une étude ethnologique sur le personnel navigant de la compagnie…
 
Le chef de cabine est haïtien. Il doit mesurer 2 mètres et peser 140 kg. Du coup, il impose le respect. Les procédures de la compagnie imposent sans doute  aux chefs de cabine d’accueillir les passagers de la classe affaires en les appelant par leur nom. Pas de chance : le mien est composé de 18 lettres. S’il m’intente un procès, je pourrai toujours me retourner contre mon père… 
 
Ce n’est pas le chef de cabine qui s’occupe de moi pendant le vol. C’est une charmante dame d’au moins 65 ans qui s’appelle Kimberly. Elle est bossue (bon, j’exagère un peu, OK, mais elle est vraiment voûtée !). Surtout elle est sourde comme un pot. Le plus drôle, c’est qu’elle m’appelle « honey » à tout bout de champ. Welcome to America ! Elle ressemble à quelqu’un que je connais, mais je mets deux heures à retrouver à qui elle me fait penser : Sue-Ellen Ewing ! Ou plutôt sa grand-mère… (Avis aux lecteurs qui n’avaient pas la télé dans les années 80 : cherchez dans Google images ou wikipedia).  
 
En fait, tout le personnel de bord semble avoir dépassé l’âge de la retraite. Il faut que j’arrête de penser aux ravissantes hôtesses des compagnies du Golfe et même à celles d’Air France (lors de l’énorme plan social de 1998, toutes les « vieilles » de plus de 35 ans ont été poussées vers la sortie, alors forcément, il n’y a plus que des jeunes…).
 
En plus de l’armoire à glace d’Haïti et du sosie de Sue-Ellen, l’équipage de la classe affaires est composé de Courtney (une blonde famélique, décolorée et liftée) et Lisa, dont la couleur rousse tire au rouge en passant par le violet en fonction de l’angle de vue. 

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L’écran est minuscule. Comment essayer de regarder un film là-dessus ? En fait, peu m’importe, je n’ai qu’une envie : dormir
J’ai quand même un peu faim et je me réjouis qu’on m’apporte la carte. Mon bonheur est de courte durée : le menu est intégralement composé de junk-food. « Je prendrai un hamburger. Saignant (j’insiste). Oui Madame, je suis Français et en France, on ne mange pas de la semelle de bœuf ». 
  
Changement à New-York. Police. Douane. « Non, je ne veux pas assassiner ton président ; je l’aime bien Obama. Si j’étais américain, j’aurais voté pour lui (si j’ai attendu le 6 novembre pour publier ce billet, ça n’est pas un hasard). Oui, je ne reste que 2 jours. Tampon. Sésame, ouvre-toi. » Me voici sur le territoire américain. Mon amie m’a donné des bons pour profiter du salon business de la compagnie pendant mes 4 heures de transit à New-York. Merci !  
 
Il y a une gigantesque télévision, un bar immense où l’on nous sert du coca à la pression (avec davantage de glaçons que de coca) et pas d’adaptateur. Damned ! Mon portable est presque déchargé et je ne vais pas pouvoir apporter les dernières retouches à ma présentation powerpoint. 
 
Vol intérieur. Les États-Unis, c’est grand ! Mon second vol de la journée dure plus de 5 heures. Mon surclassement n’était valable qu’entre Paris et New-York. Je m’apprête donc à passer tout ce temps dans un vieux Boeing 737 défraîchi. Je me surprends à me dire avec angoisse que les avions d’Easyjet ne sont pas si inconfortables finalement. 
 
J’ai un siège côté hublot : je ne suis pas à plaindre. Mais c’est sans compter les deux catcheurs (120 kilos minimum chacun) qui s’assoient à côté de moi. Je sens que ce vol va être très long…  
 
Il y a bien un écran sur le dossier du siège devant moi, mais au format timbre-poste (quand une compagnie a des écrans minuscules en classe business sur les vols transatlantiques, il ne faut pas s’attendre à mieux sur un vol intérieur…). Les films ne sont pas « à la demande » : on a le choix entre 6 pauvres productions américaines improbables qui passent en boucle, et il ne faut pas rater le début sinon on prend l’histoire en route… 
 
De toute façon, tous les passagers préfèrent regarder la télé en « live ». Et là, le choix est large : au moins 100 chaînes de télé ! Les 10 premières minutes sont gratuites. Au-delà, il faut payer : 5,99 $ pour un vol de moins de 2 heures et 7,99 $ pour un vol de plus de 2 heures. 

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Tous les passagers ont sorti leur carte de crédit pour regarder la même chaîne : il y a ce soir-là un match de base-ball qui semble important entre l’équipe locale de mon lieu de destination et une autre ville américaine. À chaque point marqué, les passagers s’enflamment, sautent sur leur siège étroit et font bouger leur quintal de muscle. Je comprends pourquoi l’avion a l’air si vieux : il a dû endurer bien des matchs… Mon voisin m’apprend d’ailleurs que oui, vraiment, c’était un match-clé. Une sorte de PSG/OM américain. 
 
Le personnel navigant passe et repasse dans l’allée (tout en s’intéressant au match en cours). « Hamburger ou pâtes ? ». Je me laisse tenter par des pâtes chinoises. Je tends un billet de 10 $ pour payer ma pitance. Le steward me regarde avec l’air d’une poule qui trouve un couteau. Quand il comprend que je comptais régler mes pâtes avec du vrai argent, il me dit d’un air outré : « We don’t accept paper money, Sir ». Suis-je sot ! Le « paper money », c’est tellement XXe siècle ! En revanche, le monsieur n’a rien contre le « plastic money ». Ça tombe bien : grâce à ma CB, je ne vais pas mourir de faim. 
 
Une minute plus tard, je comprends que l’avion n’a pas de four. Mes pâtes chinoises sont froides (et sucrées, normal : on est en Amérique) et le hamburger de mon voisin n’est pas plus chaud. Je le regarde, médusé, mâchouiller son kilo de hamburger comme s’il s’agissait d’un chewing-gum. 
 
J’arrive à 21h, heure locale. Avec les 8 heures de décalage horaire, il est 5h du matin à Paris. Ma réunion commence à 8h30 demain matin. Il va falloir être fort ! 
 
La négo avec les Américains s’est mal passée. Fin de l’American Dream. Un mal pour un bien : je ne serai pas obligé de prendre sans arrêt l’avion pour traverser l’Atlantique. Je me délecte à l’idée que mon prochain voyage se fera à bord d’une compagnie de qualité du Golfe persique.