Une ponte de tortue

Comment une histoire des plus embarrassantes se termine finalement en un souvenir de voyage magique ?

On m’avait depuis toujours vanté le spectacle d’une ponte de tortue marine sur une plage.
Pour vivre ce grand moment et pouvoir vous conter ma propre expérience, je m’étais donné le choix entre deux endroits : l’île Selingan en Malaisie, l’un des sites les plus célèbres pour ce spectacle extraordinaire, ou l’île de Mayotte, beaucoup moins célèbre pour la plupart d’entre nous, mais aux dires des connaisseurs, aussi fréquentée que Selingan par ces reptiles attendrissants.

Mon choix s’est finalement porté sur Mayotte ; sa plage de Ngouja est réputée pour son activité nocturne des plus intenses. D’aucuns imaginent une Full Moon Party en Thaïlande ! les nuits à Ngouja sont presque uniquement fréquentées de… tortues de mer.
Le moment tant attendu arriva. Il m’avait fallu patienter jusqu’à la tombée de la nuit pour me rendre au Jardin Maoré et rencontrer Katia, une scientifique passionnée, qui passait alors plusieurs mois à Mayotte pour étudier le comportement de ces reptiles les plus appréciés de l’homme.
Katia m’expliqua comment mettre les tortues dans les meilleures conditions pour qu’elles puissent venir pondre en toute tranquillité sur la plage et offrir le spectacle que nous attendions tous deux : obscurité et silence étaient nécessaires pour que je puisse enfin observer cet évènement hors du commun. Il fallait encore patienter quelques heures pour que l’obscurité soit suffisante et que la marée permette à nos chères tortues de s’échouer pour se hisser ensuite laborieusement sur la plage. L’attente faisait monter mon excitation et ma nervosité ! J’étais à quelques heures d’un moment que je ne vivrai sans doute qu’une fois dans ma vie.
Il était l’heure. Seuls quelques clapots de vagues perturbaient le silence de la nuit ; la seule lumière que nous parvenions à distinguer était celle de la demi-lune. Et là, ce qui aurait dû être l’instant le plus magique et le plus excitant de mon voyage, se transforma en un grand moment de solitude : j’avais choisi de m’habiller ce soir là d’une chemise blanche, d’une veste blanche et d’un pantalon blanc : pour avoir la panoplie d’un parrain de la Mafia, il ne me manquait plus le chapeau ! je ressemblais probablement à ce moment là à une énorme luciole perdue sur la plage. L’obscurité totale exigée par les tortues n’était pas vraiment assurée… les chances de voir une tortue sur le sable plutôt minimes…

Naturellement, je n’avais pas prévu d’emporter avec moi des vêtements plus appropriés pour suivre ce spectacle. J’avais deux solutions : quitter Mayotte sans avoir vécu ce pourquoi j’étais venu ou trouver le moyen de participer à l’évènement que je ne voulais manquer pour rien au monde. J’ai très vite choisi la seconde option.
En un instant, débarrassé de ma veste, ma chemise et mon pantalon, j’étais presque nu devant Katia que je ne connaissais que depuis quelques heures, mais à l’idée de pouvoir finalement assister à la ponte de l’une de ses tortues, Katia est restée imperturbable !
Dans cette atmosphère très romantique de plage déserte, nous étions tous les deux assis, en silence, à guetter le moindre bruit sur le sable. Pendant cette attente, la brise marine, douce et tiède, caressait notre peau et pouvions sentir les odeurs dégagées par l’herbier tant convoité par nos tortues. Et l’instant magique tant attendu est finalement arrivé. Quel spectacle ! Je ne regretterai pas d’avoir vécu cette longue attente embarrassante pour vivre ce qui s’est offert devant moi ! Une énorme tortue est venue se hisser difficilement sur la plage à la recherche de l’endroit parfait pour enterrer ses œufs : cette bête de plusieurs centaines de kilos rampait laborieusement sur le sable pour accomplir le trajet qui la séparait de la mer et de l’endroit qu’elle avait choisi pour creuser le trou tant attendu. Le silence était troublé par le frottement de la lourde carapace sur le sable et quelques soufflements dégagés par la tortue.
Notre excitation et notre impatience se sont transformées en sympathie et pitié pour notre tortue qui devait accomplir tant de travail. Alors que certains shows touristiques n’ont lieu que le temps de prendre une rapide photo, celui d’Ngouja a duré près de deux heures, le temps que la tortue achève sa tâche qui paraissait si difficile. Une formalité pour notre reptile puisqu’elle reviendra probablement une nuit prochaine pour terrer sa progéniture.
J’espère pouvoir revivre un jour le souvenir magique que je garde de cet instant. Pourquoi pas en Malaisie, sur l’île de Selingan ? je sélectionnerai alors soigneusement des vêtements appropriés à ce spectacle.