Zanzibar, l’île aux épices
Je vais finir par me rompre les cervicales tellement je me penche vers le hublot. Mon voisin est compréhensif : il me propose d’échanger les places qui nous ont été attribuées. Mon excitation le fait sourire ; il n’arrive plus à se concentrer sur la lecture d’Africa Today.
Il y a 40 minutes, nous quittions l’aéroport de Kilimandjaro. Nous survolons maintenant le bleu de l’Océan indien. Dans quelques minutes, nous serons à Zanzibar.
En phase d’approche, j’aperçois, à quelques centaines de mètres de l’île, plusieurs îlots boisés, bordés de plages de sable blanc. J’apprendrai plus tard que ce sont des îles hôtels, idéales pour passer des vacances à la Robinson Crusoé.
Partout s’entremêlent les styles architecturaux, les couleurs de peau et les parfums.
Les Portugais, les Omanais puis les Indiens ont laissé leur trace dans l’architecture de la ville africaine construite en pierres : les vitraux de l’église catholique ont la forme de l’arc musulman ; les vieilles portes swahili en bois précieux sont recouvertes de cuivre, comme à Oman, leurs sculptures en forme de poissons symbolisent la richesse, comme aux Indes. Les femmes portent des tchadors qui ressemblent à s’y méprendre à des saris indiens. Notre chauffeur a un petit chapeau rond brodé comme ceux des Indonésiens.
Au marché aux mille couleurs, l’île aux épices porte son nom à merveille. Je rapporterai des clous de girofle, de la vanille, de la cannelle, du poivre en grain et de la cardamome.
Je m’égare avec délice dans les ruelles de Stone Town, la vieille ville, j’y achète une cigarette (une seule…je n’ai pas fumé depuis dix ans, mais j’ai eu une envie soudaine…) et un jus frais de canne à sucre. Le lendemain, j’achète un plan. Comment ai-je pu me perdre dans un si petit espace ?
Pas envie de retrouver le confort douillet de l’hôtel. Je m’arrête boire un café zanzibarite devant la « maison des merveilles » qui porte si bien son nom. Le café sent la vanille et la cannelle, sa force me brûle la gorge, je le sens descendre vers mes poumons. Je comprendrai le lendemain pourquoi ce café me semblait si étrange : au petit déjeuner de l’hôtel sont proposées deux cafetières différentes ; sur l’une est écrit « café », sur l’autre, « café zanzibarite ». Un client m’a rapporté une fois un mélange d’épices pour faire ce « café zanzibarite ». Les rares fois où, à Paris, je prends le temps d’un vrai petit déjeuner sur mon balcon, je parfume mon café d’une pincée de ce mélange. Pendant quelques instants, je ferme les yeux et retourne (en rêve) à Zanzibar.
Je revois alors les ruines du harem du sultan, j’entends les bruits de la ville : les cloches de la cathédrale qui sonnent, l’appel du muezzin, les sirènes des bateaux qui entrent au port, le vent qui claque dans les lourdes tentures dorées du « tower top », le restaurant du toit de l’hôtel Hurumzi 236 (qui s’appelait encore Emerson and Green house), où avec Denis, Annie et Jean-Paul, mollement alanguis sur de lourds coussins précieux, nous avions refait le monde en dégustant le meilleur de cette cuisine swahili à base de poissons, de fruits de mer, de mangues, de noix de coco et toujours… des mille épices qui font la réputation de cette île lointaine et mystérieuse.
Le lendemain, nous sommes allés rapidement à la découverte du sud de l’île : dans un bateau traditionnel, nous avons navigué une petite heure pour traverser une baie, escortés par des dauphins et avons accosté sur un banc de sable blanc où nous avons dégusté un pique-nique à base de homard et de fruits de mer. L’après-midi, retour à la réalité avec deux visites d’hôtels à la décoration romantique et retour à l’aéroport : j’ai alors demandé un siège « hublot » : peu à peu, je voyais s’éloigner cette île dont je suis vraiment tombé amoureux. Zanzibar, Nairobi, Londres, Paris… Je n’arriverai pas à évoquer Zanzibar tout de suite : il me faudra six mois (et un deuxième voyage) pour définir la meilleure alchimie entre l’ambiance si particulière de Stone Town, les plages de l’est et du nord, les îles privées au large de l’île et le côté si « nature » du sud de l’île, où, loin du tourisme de masse, on peut rencontrer les pêcheurs, les éleveuses d’algues et les villageois.
Cinq ans et quatre voyages plus tard, Zanzibar reste mon endroit préféré, « mon » île, celle que je vends avec toujours autant de plaisir, celle que je recommande à mes amis, celle que je vous engage à visiter si vous aimez les douces ambiances des îles où le modernisme n’est pas (encore) arrivé.